Niché au cœur du parc industriel de Saint-Léonard, l’atelier de Giovanni et Tony Rosato se fond dans le décor de la rue Lafrenaie. Sa façade sobre et discrète, marquée par une enseigne désuète, pourrait passer inaperçue. Pourtant, derrière cette unique porte de garage, un monde vibrant s’ouvre, empreint d’anecdotes, de passion et d’authenticité. Ici, pas de gadgets dernier cri ni de vitrines aseptisées. Une mobylette se cache dans l’arrière-boutique tandis qu’un quatre-roues patiente sous un pont élévateur, témoins silencieux d’un lieu où chaque recoin a une histoire à raconter.
À l’intérieur, les murs s’ornent d’affiches à la gloire de l’Italie. Les visiteurs sont accueillis avec un espresso, souvent savouré en compagnie d’un client, d’un ami ou d’un membre de la famille de passage. Certains jours, des arômes de plats maison embaument l’air. Un repas improvisé s’organise parfois, prolongeant l’expérience au-delà des réparations automobiles.
Il y a près de 30 ans que Giovanni a amorcé le défrichage de ce local. Après une formation en mécanique, il fait son stage dans un garage spécialisé dans les modèles italiens. Il travaillera par la suite dans un atelier de Montréal-Nord où il se familiarisera aussi avec la vente, avant d’offrir ses services à des équipes de course. Il démarre son entreprise modestement, en achetant, réparant et revendant des véhicules d’occasion. Peu après, Tony, son frère, vient lui prêter main forte.
Avec patience et détermination, chaque dollar gagné est réinvesti dans de l’équipement, transformant progressivement l’espace dépouillé en un lieu vibrant au rythme des moteurs et des rencontres humaines. « Tout était vide. Il n’y avait rien. J’ai monté un établi et acheté quelques caisses d’huile à moteur », se remémore Giovanni. « Par la suite, j’ai installé un lift, puis un autre. » Petit à petit, la mécanique supplantera la vente de véhicules.
Tracer sa propre voie
Faisant classe à part, les frères Rosato ont su s’adapter tout en préservant leur indépendance. Refusant de se rallier à un grand réseau, le duo a préféré bâtir une entreprise à son image. Cette liberté leur permet de diversifier leurs activités et surtout, de rester maîtres de leur destin. « J’ai réussi à bien gagner ma vie sans être sous une enseigne ou même un spécialiste », souligne fièrement Giovanni.
Mais son intérêt pour les voitures ne se limite pas aux murs de l’atelier. Mécanicien pour une équipe de Formule 1600 pendant quelques années, il rêvait de gravir les échelons jusqu’en IndyCar. Alors qu’une offre pour rejoindre la série Atlantique se fait attendre, il amorce un projet qui l’aidera à tuer le temps tout en renflouant les coffres. Quelques mois après avoir démarré son entreprise, il reçoit enfin le coup de fil tant attendu. Malheureusement, l’appel survient au moment où son initiative commerciale commence à porter ses fruits.
Son amour pour la course ne s’est jamais éteint pour autant. Il canalise désormais cette passion en épaulant une « écurie » composée d’une sélection éclectique de voitures d’époque. Durant ses temps libres, il accompagne ses « poulains » sur les circuits où il peaufine leurs bolides. Cependant, « au Québec », précise-t-il avec un sourire, « tu ne deviens pas riche avec les courses vintage. Tu fais ça pour le plaisir! ».
Malgré son ancrage dans le passé, Rosato Bros suit de près l’évolution de l’industrie automobile et se prépare à la transition vers les véhicules hybrides et électriques. « Beaucoup de nos clients roulent déjà en électrique, alors il faut s’ajuster », explique Giovanni. Mu par un désir constant d’apprendre, il s’apprête à suivre une formation pour répondre aux besoins évolutifs de cette clientèle.
Les défis des temps modernes
Cette capacité d’adaptation est cruciale dans un secteur d’activité où les ateliers indépendants font face à un avenir incertain. Les défis sont multiples : manque de relève, complexité croissante des véhicules modernes et coût élevé de mise à niveau pour suivre les nouvelles technologies. Giovanni reconnaît ces obstacles, mais demeure pragmatique : il faut rester à la page, ou alors, se concentrer sur une spécialité.
Dans un horizon de cinq à dix ans, Giovanni ne rêve pas d’une expansion classique, mais d’une douce transition. Il imagine un espace plus grand, dédié à l’entretien et à l’entreposage. Un refuge pour héberger les véhicules de ses clients qui carburent à la performance. Un lieu où il pourrait les bichonner afin qu’ils soient fins prêts à mordre le bitume des pistes au printemps venu.
Plus qu’un simple garage de mécanique, Rosato Bros incarne la résilience et l’authenticité. Portée par la passion et le savoir-faire de ceux qui l’animent, la petite entreprise indépendante réussit à tirer son épingle du jeu. Ici, chaque voiture raconte une histoire, tout comme cet atelier qui, loin des standards imposés, continue de tracer sa propre route. À travers le travail régulier de mécanique générale qui les fait vivre, les deux frères trouvent le temps de s’adonner à la mécanique de compétition, celle qui les fait vibrer.