Note de la rédaction : Notre ancien collègue et grand lecteur d’Autosphere, nous propose ce remarquable témoignage de l’expérience vécue par sa fille, avec sa voiture.
Les évènements suivants n’ont rien de fictif et se répètent régulièrement dans les ateliers indépendants, qui solutionnent fréquemment des problèmes techniques que les concessionnaires ne parviennent pas à régler.
Le cauchemar se met en place le 25 septembre 2023 alors que ma fille Julie fait remorquer sa Prius hybride 2014 chez le concessionnaire Toyota le plus près de son domicile, à Montréal. Seul indice : le véhicule ne démarre pas.
Une semaine plus tard, le concessionnaire offre à Julie de lui prêter une voiture de remplacement, car le problème semble plus complexe que prévu à cerner.
Après de multiples échanges et courriels avec le directeur du service et les experts de la maison-mère américaine de Toyota aux États-Unis et avoir interchangé plusieurs composants empruntés sur un véhicule semblable qui « sommeillait » dans l’atelier, le concessionnaire lance la serviette et affirme que la voiture de ma fille est irréparable et bonne pour la casse. Le véhicule vaut encore au moins 12 000$ et le compteur indique seulement 150 000 kilomètres !
Papa à la rescousse
On est début décembre quand je demande à Julie si je peux m’en mêler. Quelques semaines plus tard, le 17 décembre, je me présente chez le concessionnaire pour rencontrer le directeur du service. La conversation dure quelques minutes et je m’empresse de lui demander si je peux m’entretenir avec le technicien, qui travaille à cet endroit depuis 25 ans… quand même.
Plein de bonne volonté, ce dernier me décrit avec force détails tous les tests effectués. Je comprends assez bien ses explications.
Après cette rencontre, le directeur du service me demande si on peut déclarer l’auto irréparable et il me dirige vers un représentant des ventes. Il n’y aura évidemment pas de transaction.
Je fais part de mon désarroi à ma fille et lui demande de patienter jusqu’après les Fêtes. Elle avise le concessionnaire qui déplace l’auto dans le stationnement extérieur et elle retourne la voiture de courtoisie. Bien que le technicien ait travaillé au bas mot 20 heures sur la voiture, aucun montant ne lui sera facturé, puisque l’auto est dans le même état qu’à l’arrivée dans l’atelier.
Mise en place du Plan B

J’ai un excellent réseau d’amis et d’intervenants dans l’industrie automobile et j’approche Yves Racette, directeur national de la formation pour NAPA Canada à qui je brosse un bref portrait de la situation. Quelques jours plus tard, il me met en contact avec Charles Bernier, propriétaire du garage NAPA AUTOPRO Yvon Vanier, dans le nord de Montréal. Enfin, on perçoit un peu de lumière au bout du tunnel !
Lorsque ma fille se rend chez le concessionnaire Toyota pour les aviser du transfert de véhicule, en mai, elle constate que la voiture a été endommagée dans le stationnement. On l’informe que l’incident a eu lieu un mois plus tôt alors qu’un véhicule de livraison l’a heurté. Une entente est récemment survenue avec l’entreprise qui assumera les frais de réparation ( ± 7 000 $).
Trois jours après l’entrée du véhicule dans l’atelier NAPA, début mai, on fait parvenir à Julie une vidéo où on peut voir que le moteur tourne. Gros contraste avec les derniers mois ! Comme Charles Bernier veut lui-même mettre la main à la pâte et qu’il est fréquemment occupé par ses fonctions administratives, il consacre « ses heures libres » à faire des tests sur la voiture avec l’assistance d’un technicien. Moins d’un mois plus tard, l’auto est en marche et de retour sur la route. Ma fille est euphorique !
Un dénouement heureux
Le parcours a été laborieux, mais Charles Bernier en avait vu d’autres et il adore les défis. Voyons avec lui son approche, qui a mené à régler ce problème apparemment insoluble : « de toute évidence, le concessionnaire avait fait de son mieux en remplaçant tour à tour trois modules sans succès : power management, powertrain et certification ecu. Poursuivre le travail amorcé par un autre atelier peut être risqué, c’est pourquoi je suis reparti à zéro. Nous avons dû d’abord réparer des fils de branchement qui avaient été coupés. »
Étude de cas
« Le véhicule, muni d’un système de démarrage à bouton poussoir ne reconnaît pas les clés intelligentes. Nous utilisons alors une fonction de récupération avec la 2e clé pour reprogrammer la voiture afin qu’elle « approuve » les deux clés », poursuit M. Bernier.
« Nous branchons ensuite le scanner (analyseur), mais il est impossible de communiquer avec les modules du véhicule. Suite à des dérivations de courant pour les alimenter directement, nous obtenons le code B2287 LIN (Local Interconnect Network), qui confirme qu’il n’y a aucune communication entre le power management module et le certification module. »
M. Bernier poursuit son investigation : « On vérifie tous les circuits : continuité, alimentation, prises de masse, courts-circuits, lecture des signaux avec l’oscilloscope, tout est parfait, mais rien ne fonctionne ! Au 3e essai, Bingo ! On trouve un premier indice visuel clair ! Le connecteur qui se branche au module de puissance est évasé et n’entre pas en contact avec le terminal de l’ordinateur. »
« Pour m’assurer d’effectuer une réparation rapide et fiable à peu de frais, je démonte le module, soude un fil sur le circuit imprimé que je branche directement au fil du circuit LIN. Du coup, la voiture se met à fonctionner « normalement ». Nous remplaçons également de la même façon un autre terminal endommagé du module de certification. »
« Tout allait bien jusqu’à ce qu’un nouveau code s’affiche sur le scanner (B2789 : no response from ID box), ce qui nous oblige à démonter partiellement l’ensemble de ventilation pour accéder à ce module bien caché et difficile d’accès. Une inspection minutieuse au microscope du circuit imprimé montre des fissures dans les soudures, que je répare. On teste ensuite la voiture une cinquantaine de fois et aucun problème ou code ne réapparaît », ajoute l’expert.
Post mortem
« Il m’apparaît évident qu’au départ les mauvais contacts causés par les connecteurs endommagés étaient déjà présents avant que le concessionnaire ne prenne la voiture en main. Le technicien de Toyota n’a pas utilisé une méthode de diagnostic rigoureuse gagnante en remplaçant pièce après pièce. Il a fait du « sur place » et je crois que cela est dû à un manque de connaissance du fonctionnement des systèmes et de leur interaction. Quand on sait comment les choses fonctionnent, tout devient plus facile à réparer », conclut M. Bernier.
Mission accomplie
Début juillet, on assiste à la livraison de la voiture à Madame Charron, qui est très expressive et nous louange pour notre persévérance et notre professionnalisme. Je dois avouer que ce qui m’a le plus gratifié pour tout le travail de diagnostic accompli ont été le sourire et le soulagement qu’elle exprimait tant en personne que sur la photo. Pour moi, c’est ça le plus important : redonner le sourire au client !
L’automobile de Mme Charron a été immobilisée du 25 septembre 2023 au 4 juillet 2024, soit plus de 9 mois.
Le point de vue d’Yves Racette

En conclusion de cette aventure, le formateur Yves Racette, fer de lance du virage électrique dans les ateliers québécois, souligne que non seulement ce genre de cas est plus fréquent que l’on pense, mais que les ateliers de réparation mécanique indépendants ont en main tous les outils pour résoudre ce type de problèmes.
« Notre industrie est non seulement en constante évolution, mais certains secteurs performent mieux que d’autres, comme le démontre l’expérience vécue par cette cliente. Il semble évident que le marché secondaire s’est mieux adapté au changement et aux nouvelles technologies que tous les autres. Je crois sincèrement que le principal catalyseur de ce succès est d’avoir mis l’accent sur la formation pour outiller les techniciens qui réparent et entretiennent les voitures de nouvelles générations lorsqu’elles quittent le concessionnaire, parfois bien avant la fin de la période de garantie ! »
« Le cas de Madame Charron est plus fréquent qu’on le croit, je vous l’assure, surtout pour les voitures électriques qui envahissent le marché actuellement. Le personnel des concessionnaires, habitué à des formations encadrées autour des problèmes courants, manque de repères et de ressources pour faire face aux cas inusités comme celui-ci. Dorénavant, l’après-marché dispose d’une panoplie de ressources comme les logiciels, analyseurs et appareils de diagnostic à la fine pointe, qui facilitent le travail des techniciens. Le coût relié à tous ces outils a été grandement réduit en utilisant le principe de l’abonnement, peu importe la ressource nécessaire. »
« Les constructeurs automobiles comme Tesla, Rivian et les plus connus investissent énormément pour vendre leurs véhicules, mais très peu pour la formation du personnel. Comme on peut le voir, les conséquences négatives de cette lacune sont catastrophiques et c’est l’acheteur qui en paie les frais. Notre secteur doit prendre la balle au bond et combler ce besoin croissant de qualifier toujours notre personnel pour surpasser les attentes des consommateurs. »
François Charron, rédacteur de cet article, a œuvré dans l’industrie automobile et l’équipement lourd pendant 47 ans. Il a touché à la majorité des domaines reliés à cette industrie : technicien diplômé et certifié, gérant, formateur, gestionnaire, consultant, chroniqueur et journaliste automobile, rédacteur et traducteur technique, localement et outre-mer.