Une entrevue avec le très honorable Stephen J. Harper.
Un moment fort de la Conférence et Expo ACE 2024 à Niagara Falls (17-18 octobre) fut une entrevue exclusive en direct où l’innovateur numérique et investisseur Bruce Croxon s’est entretenu avec l’ancien premier ministre canadien, le très honorable Stephen J. Harper.
Le thème central de la discussion portait sur l’état actuel et futur du Canada, et un public nombreux et attentif a suivi avec anticipation le déroulement de la conversation.
Le premier point majeur abordé concernait l’économie. M. Harper a rappelé que durant son mandat, alors que le Canada devait naviguer à travers la Grande Récession et la Crise économique mondiale de 2008, le déficit fédéral de 5,8 milliards de dollars était nécessaire pour prévenir l’effondrement économique. Il a souligné que les politiques monétaires expansionnistes, comme celles mises en œuvre pendant les moments les plus sombres de la pandémie de COVID-19 où la masse monétaire a été augmentée, ne devraient être appliquées que de façon très limitée et pour de courtes périodes. Lorsque cela se produit de manière continue, le résultat est une inflation plus élevée et des taux d’intérêt plus élevés qui, combinés à des niveaux d’endettement plus importants, entraînent un ralentissement de la croissance, où l’argent sert à payer les détenteurs d’obligations plutôt qu’à réaliser des investissements productifs. C’était une situation que nous avons connue dans les années 1970 et qui s’est reproduite ces dernières années.
M. Harper a également noté que pour les gouvernements, dépenser de l’argent et réduire les impôts sont généralement des décisions politiques faciles, mais lorsque les choses se compliquent et qu’il faut réduire les dépenses et augmenter les impôts, il y a souvent une grande résistance politique. Il a souligné que durant son mandat de premier ministre, le gouvernement du Canada a pu effectuer des réductions modestes des dépenses afin d’équilibrer le budget fédéral. Il a aussi mentionné que si l’on supprime l’ancrage fiscal d’un budget équilibré, on entre dans un monde où les déficits ne font que s’accroître jusqu’à ce qu’une crise économique survienne.
Concernant l’élection fédérale canadienne de 2025, Croxon a demandé combien de temps le prochain gouvernement aura probablement pour redresser la situation économique. M. Harper a déclaré qu’il sera important pour le prochain gouvernement non seulement de comprendre les enjeux économiques, mais aussi d’élaborer un mandat qui entraînera un véritable changement de direction sérieux du pays et de l’économie dans les deux ans suivant son élection. « Cela signifie qu’il faut être audacieux et prendre des mesures crédibles pour montrer comment on met de l’ordre dans ses finances. » M. Harper a affirmé que si un gouvernement peut y parvenir et démontrer aux entreprises et aux investisseurs que les choses évoluent réellement dans une direction positive, ils réagiront très favorablement. Il a noté que, d’un point de vue économique, il n’y a pratiquement eu aucune gestion des dépenses de la part du gouvernement du Canada au cours de la dernière décennie et que pour le prochain gouvernement, s’attaquer à cette situation sera très difficile.
Un autre sujet clé abordé durant la discussion fut le système d’immigration canadien, avec une référence particulière à l’explosion des programmes de travailleurs étrangers temporaires et d’étudiants internationaux sous le gouvernement actuel. M. Harper a déclaré qu’il était important, en ce qui concerne des dossiers comme l’immigration, que la mécanique quotidienne de surveillance et d’ajustement des politiques soit essentielle, et que ce qui s’est passé ces dernières années, c’est que la politique d’immigration s’est largement concentrée sur l’accueil de personnes pour les entreprises dont la rentabilité dépend de l’échelle. M. Harper a noté que souvent, dans ce genre de situations, bien que ces entreprises deviennent plus rentables, le résultat pour l’économie et la nation est une baisse du niveau de vie, puisqu’un grand afflux de personnes exerce plus de pression sur tout, du logement aux infrastructures, en passant par les soins de santé, l’éducation et l’intégration dans la population plus large. M. Harper a déclaré que nous avons vu ces problèmes se multiplier ces dernières années et qu’il est probable qu’à l’avenir, les niveaux d’immigration au Canada seront considérablement réduits.
Concernant l’énergie — un autre sujet politiquement sensible ces jours-ci — M. Harper a noté que le Canada a un énorme avantage en ayant le troisième plus grand secteur énergétique au monde, ce qui lui donne une opportunité enviable non seulement d’approvisionner l’Amérique du Nord en besoins énergétiques, mais aussi les économies émergentes à travers le monde. « Les économies émergentes ont besoin de quantités toujours croissantes d’énergie et de matières premières, et elles ont besoin de les obtenir d’environnements transparents, régis par l’état de droit et éloignés des zones de conflit. » Il a déclaré que si le Canada peut relancer son secteur énergétique, cela permettra au pays de s’attaquer à plusieurs des problèmes actuels auxquels il fait face, notamment la faible croissance économique et le coût de la vie élevé, tout en étant un centre de ressources extrêmement précieux pour une grande partie du monde. La clé, cependant, est de réduire les obstacles au développement des ressources.
Passant au secteur automobile, particulièrement aux mandats imposés par le gouvernement fédéral actuel sur l’adoption des VÉ, il a noté que tout le domaine de la politique sur les changements climatiques est unique en ce qu’il n’y a pas de véritable analyse de ce qui est réellement réalisable et que, dans la plupart des cas, les gouvernements fixent des objectifs — y compris les mandats sur les VÉ — sans comprendre ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. « Nous n’avons aucune idée de ce à quoi ressemblera le système électrique, comment il sera alimenté, quelle sera sa composition, ni comment nous obtiendrons tous les matériaux pour financer les batteries », a-t-il déclaré. M. Harper a également noté qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas non plus assez de ressources disponibles pour effectuer cette transition vers les VÉ et que c’est un domaine de politique publique qui nécessite une refonte complète. Il a dit qu’en fin de compte, le marché décidera et qu’actuellement, « le marché ne nous dit pas que personne ne voudra de véhicule à moteur à combustion interne d’ici 2035. »
En conclusion, bien que M. Harper ait déclaré qu’à bien des égards, le monde est aujourd’hui un endroit plus difficile, dangereux et instable qu’il ne l’était durant son mandat, il a néanmoins affirmé que malgré la crise du coût de la vie, les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, et les bouleversements politiques qui se produisent à travers le monde, il reste optimiste quant à l’avenir, tant pour le Canada que pour le monde. « Nous avons un coût de la vie élevé, une croissance ralentie, une baisse du niveau de vie pour les travailleurs et la classe moyenne. Nous avons de profonds conflits sociaux, politiques et culturels dans nos sociétés. Nous avons des leaders autoritaires et des dictateurs en marche à travers le monde. Tout cela semble terrible, mais ce que je viens de dire décrit aussi 1979, une époque où j’étais un jeune homme. » Il a noté que ce qui était remarquable à ce sujet, c’est que les sociétés démocratiques orientées vers le marché sont extrêmement résilientes et adaptables. « Lorsque les problèmes atteignent un certain point, à mon avis, ils créent inévitablement une nouvelle génération de leaders qui nous mettent sur une autre voie. Et bien que 1979 ait pu être horrible », a-t-il dit, « 10 ans plus tard, nos économies étaient florissantes, le système soviétique s’effondrait, et la liberté et la démocratie se répandaient à travers le monde comme jamais auparavant. »