Note de la rédaction : L’organisme Équiterre a voulu exposer son point de vue sur l’argument qui veut que les véhicules électriques, avec leur poids supplémentaire comparativement à leur équivalent à essence, usent prématurément nos infrastructures routières.
Les véhicules électriques sont-ils réellement plus lourds que les voitures à essence ? Doit-on s’inquiéter de ce poids supplémentaire pour nos infrastructures routières, ou est-ce que cette question nous détourne plutôt du véritable enjeu de la taille grandissante des véhicules qui composent le parc automobile québécois ?
Certes, les véhicules électriques peuvent être plus lourds que leur équivalent à essence, mais il faut apporter une nuance importante : les véhicules électriques ne sont pas à l’origine de l’augmentation du poids du parc automobile québécois. C’est plutôt l’arbre qui cache la forêt.
Qu’ils soient à essence ou électriques, les véhicules sont tout simplement de plus en plus lourds de façon générale. Cela s’explique notamment par la tendance à la « camionnisation » de notre parc automobile. Au Québec, mais aussi partout en Amérique du Nord, les véhicules sur nos routes sont de plus en plus gros. Cette tendance à voir nos véhicules gonfler en taille et en poids concerne principalement les camionnettes (pickups) et les VUS, et précède de plusieurs années l’arrivée des véhicules électriques.
Plus qu’une affaire de batterie
Les données parlent d’elles-mêmes. Selon la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ)1, la masse moyenne des véhicules de particuliers (de promenade) a augmenté de 240 kg depuis 2004. Les camionnettes ont vu leur poids moyen augmenter de 500 kg. Par exemple, depuis 2000, l’empreinte au sol d’un Toyota RAV4 a augmenté de 35 %2.
Cette augmentation de masse n’est pas attribuable à la popularité des véhicules électriques puisqu’ils ne représentent que 4 % des immatriculations en 2023 (en hausse d’environ 1 % par année)1. C’est plutôt la « camionnisation » qui est en cause.
On dénombre la disparition de plus de 28 modèles de voitures sous-compactes et compactes3 au courant des dernières années. Ces petites voitures à essence et électriques sont souvent remplacées, parce qu’elles sont moins rentables pour l’industrie automobile, par des modèles plus lourds et imposants. En conséquence, le nombre de camions « légers »4 de plus de 2 tonnes a augmenté de 475 % entre 2004 et 2023 sur nos routes.
L’enjeu du poids des véhicules se situe donc au-delà des batteries des véhicules électriques (même si ceux-ci vont effectivement amplifier le problème dans les prochaines années). Il existe par exemple des modèles électriques bien moins lourds que nombre de véhicules à essence qu’on retrouve sur nos routes. Citons par exemple la Tesla modèle Y, voiture 100 % électrique la plus vendue au monde, qui pèse 1 907 kg5, alors qu’un F-1506, le véhicule le plus vendu au Canada et aux États-Unis ces 14 dernières années, toutes catégories confondues, pèse 2 274 kg sans aucun accessoire.
En luttant contre la « camionnisation » du parc automobile, on pourrait facilement annuler le surplus de poids généré par l’électrification des véhicules individuels, tout en réduisant les enjeux environnementaux liés à un parc automobile de plus en pesant.
Les vrais enjeux
Plutôt que de cibler les véhicules électriques, la question du poids des véhicules doit être considérée dans son ensemble, quel que soit le mode de propulsion. En effet, l’augmentation de la taille (et conséquemment du poids) des véhicules impacte non seulement l’environnement, mais aussi la sécurité des usagers et le portefeuille des automobilistes.
Ainsi, un véhicule à essence de grande taille (VUS ou camionnette par exemple) produit en moyenne 20 % de plus de GES7 qu’une voiture en raison de l’énergie supplémentaire nécessaire pour le déplacer. De fait, l’augmentation de la taille des véhicules personnels est responsable de 50 % de la hausse des GES au Québec depuis 2015.8
Au chapitre de la sécurité, les véhicules de grande taille sont deux fois plus souvent impliqués dans des collisions avec des piétons que les voitures9. Lors de collisions avec des vélos, ils causent 55 % de plus de blessures sévères ou mortelles aux cyclistes que les voitures10. Dans les deux cas, c’est la hauteur du capot et les angles morts plus importants qui en sont la cause11.
Enfin, un véhicule de grande taille coûte environ 10 000 $ de plus à l’achat qu’une voiture et 4 000 $ de plus annuellement, notamment en raison de sa consommation d’essence supplémentaire12.
Les véhicules électriques de grande taille ne sont pas en reste puisque plus le véhicule est lourd et plus la consommation électrique est grande. Néanmoins, pour les personnes ayant réellement besoin d’une voiture, un modèle électrique (de taille adaptée à ses besoins) est à privilégier : il possède un meilleur bilan environnemental et permet d’économiser des milliers de dollars en carburant et en entretien.
Il est donc très avantageux de choisir un véhicule plus petit, autant pour des raisons énergétiques qu’économiques, sans compter les nombreux bénéfices environnementaux et de sécurité.
Les véhicules électriques légers ne sont pas une menace pour nos infrastructures
Nos infrastructures ont été conçues pour supporter non seulement le poids des véhicules légers, mais aussi les charges des camions lourds. Les limites de charge s’appliquent de la même façon quel que soit le type de véhicule, qu’il soit équipé d’une batterie ou d’un moteur à essence. Une recherche récente de l’Université de Edinburgh conclut d’ailleurs que l’électrification des véhicules légers et du transport léger de marchandise aurait un impact négligeable sur la détérioration des infrastructures routières par rapport à des véhicules à essence de taille équivalente.
Le mythe selon lequel les voitures électriques font plus de tort que de bien manque de nuance et détourne notre attention de la source du problème : la taille et le poids toujours grandissants de notre parc automobile nuit à nos finances et notre environnement, notre santé et notre sécurité. Pour notre bien-être collectif, il est temps de revenir à des véhicules à taille humaine.
Notes
- Données obtenues de la Direction de la recherche en sécurité routière de la SAAQ, le 22 juillet 2024
- https://transalt.org/reports-list/the-deadly-and-costly-impact-of-supersized-vehicles-on-new-york
- Selon l’inventaire effectué par Équiterre en mai 2024
- La catégorie des camions légers comprend tout ce qui fait moins de 4,5 tonnes (4 500 kg) incluant les VUS, camionnettes, fourgonnettes et fourgons.
- Voir l’outil de comparaison développé par Équiterre, sur http://vraisbesoins.ca
- DesRosiers Automotive
- État de l’énergie au Québec, édition 2024 (page 39)
- Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre en 2019 et leur évolution depuis 1990
- LES CAMIONS LÉGERS Impacts de la transformation du parc de véhicules légers au Québec, Chaire Mobilité – Polytechnique, 2021
- Higher point of impact makes SUV crashes more dangerous for cyclists. IIHS, 13 avril 2023
- Vehicles with higher, more vertical front ends pose greater risk to pedestrians, IIHS, 14 novembre 2023
- Comprendre la hausse des camions légers au Canada afin de renverser la tendance. Équiterre, 2021.
Blandine Sebileau, analyste en mobilité durable, Équiterre