Les vents contraires se multiplient pour les concessionnaires automobiles québécois.
Après la crise sanitaire, les normes environnementales plus strictes et les fluctuations du taux de change, voilà que la guerre tarifaire déclenchée par les États-Unis frappe de plein fouet une industrie déjà fragilisée. L’effet domino sur les ventes de véhicules, neufs comme d’occasion, s’annonce majeur. Et la marge de manœuvre se réduit.
« On n’a jamais vu ça, si je mets de côté la pandémie », tranche Ian P. Sam Yue Chi, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ). Au début de l’année, la fin simultanée des incitatifs provinciaux et fédéraux pour l’acquisition de véhicules électrifiés avait déjà refroidi l’élan de consommation. Mais ce n’était qu’un avant-goût. En avril, l’imposition de tarifs américains a ajouté une pression supplémentaire sur les prix. Résultat : une hausse anticipée des prix a provoqué une ruée des acheteurs en mars, gonflant artificiellement les ventes. « On a fait +1 % par rapport à mars 2024, mais le trimestre affiche tout de même une baisse globale de 6,6 % », résume-t-il.
Le second trimestre de 2025 sera déterminant. C’est à ce moment que les véhicules affectés par les nouvelles mesures tarifaires commenceront à débarquer dans les salles d’exposition. Les modèles manufacturés au sud de la frontière, de même que ceux en provenance d’autres pays, et destinés au Canada, qui transitent par les États-Unis, devront s’acquitter d’une surtaxe aux douanes s’ils veulent poursuivre leur route jusque dans les concessions canadiennes.
Le niveau d’imposition varie en fonction du lieu de fabrication, déterminé par le numéro d’identification du véhicule (NIV). De plus, certains modèles sont exemptés des surtaxes, ou allégés des contre-mesures tarifaires décrétées par le Canada, selon s’ils se conforment à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) ou s’ils arborent le logo de constructeurs disposant d’usines en sol canadien.
Chaque fabricant n’étant pas imposé à la même échelle, chacun adopte sa propre stratégie : certains absorbent une partie des coûts, d’autres les répercutent sur le client. D’autres encore réduisent la diversité de leur portfolio. « Il y aura une grande variabilité d’impacts d’une marque à l’autre », constate M. Sam Yue Chi.
Le danger va au-delà de l’augmentation des prix. Le dirigeant craint aussi une perte de diversité dans l’offre, voire un désengagement de certains manufacturiers en sol canadien. La transition énergétique, déjà complexe, pourrait devenir insoutenable pour les constructeurs qui peinaient à répondre aux impératifs gouvernementaux. « Est-ce que quelques-uns vont simplement décider de quitter certains marchés pour se concentrer sur les plus profitables ? », s’interroge-t-il.
Cette réalité n’épargne pas le marché de l’occasion. Steeve De Marchi, directeur général de l’Association des marchands de véhicules d’occasion du Québec (AMVOQ), rappelle que le secteur est tributaire du neuf. Or, si les ventes ralentissent et que les échanges diminuent, c’est tout l’inventaire qui s’assèche. « Certains voient une opportunité dans l’usagé, mais j’estime qu’elle sera de très courte durée », dit-il. Moins de véhicules échangés signifie moins d’unités disponibles pour la revente. Et donc, une pression accrue sur les prix.

Une nouvelle réalité
La situation est d’autant plus complexe que le marché américain absorbe une part importante des véhicules d’occasion canadiens, attirés par le taux de change favorable. « Environ 300 000 véhicules traversent la frontière chaque année », note M. De Marchi. Mais les nouveaux tarifs viennent brouiller les cartes. Seuls les véhicules assemblés aux États-Unis échappent aux droits de douane lorsqu’ils retournent au pays. « On va voir un débalancement du type d’unités qui trouvent preneur là-bas. »
L’un des exemples les plus clairs : le Honda Pilot, fabriqué aux États-Unis, reste prisé. À l’inverse, la Civic, produite au nord de Toronto, devient moins attrayante pour les importateurs américains en raison des frais supplémentaires. Ce déséquilibre crée une migration de l’inventaire et rebat les cartes pour les détaillants québécois.
L’impact ne se restreint toutefois pas qu’aux ventes. C’est tout un écosystème qui vacille. Pour les commerçants dotés d’ateliers mécaniques, le danger est réel. « Si tu ne fais plus de ventes au détail, personne ne viendra faire l’entretien de ces véhicules chez toi », prévient M. De Marchi. Cette mise en garde vise surtout ceux qui envisagent de délaisser complètement le commerce de détail pour ne faire des affaires que par les encans, désormais presque exclusivement virtuels. L’AMVOQ multiplie les avertissements, diffusant des alertes et des infolettres pour éviter que ses membres prennent des décisions hâtives qui pourraient avoir de lourdes conséquences sur le long terme.
Sur le terrain, la CCAQ et l’AMVOQ appellent à la vigilance, de même qu’à l’action politique. « Il faut intensifier nos relations gouvernementales pour donner de l’oxygène à l’industrie », plaide M. Sam Yue Chi. Il demande un allègement réglementaire temporaire, notamment sur la norme VZE, le temps que la tempête tarifaire passe. Sur le plan nord-américain, la CCAQ collabore avec la National Automobile Dealers Association (NADA) et ses homologues des autres provinces pour faire pression sur les décideurs américains. « La NADA a pris un positionnement très clair : ces tarifs ne sont pas bons pour le commerce automobile de détail. »
Du côté des constructeurs, certains s’adaptent mieux que d’autres. Toyota, le plus important fabricant automobile au pays, prend en charge pour l’instant la surtaxe sur ses véhicules canadiens qui traversent la frontière vers le marché américain. « Nous n’avons pas changé nos prix, ni au Canada ni aux États-Unis. Nous absorbons les coûts », confirme Scott MacKenzie, directeur des affaires générales et extérieures pour Toyota Canada. Grâce à des programmes de remise de droits, les opérations manufacturières canadiennes de Toyota tournent normalement. Et les exportations vers les États-Unis, qui comptent pour 80 à 85 % des véhicules assemblés dans l’usine ontarienne, se poursuivent.

Un avenir incertain
Mais cette tactique a ses limites. « Évidemment, plus ça dure, plus ce sera difficile à tenir. À long terme, les prix risquent d’augmenter. » Toyota mise sur la stabilité et la patience, en pariant sur une résolution prochaine : « Je pense que les gouvernements du Canada, des États-Unis et peut-être du Mexique finiront par s’entendre. »
À terme, une réflexion stratégique s’imposera. Doit-on diversifier les marchés d’exportation ? Réduire la dépendance aux États-Unis ? « On a placé tous nos œufs dans le même panier », reconnaît M. De Marchi. Et le réveil est brutal.
Cependant, le risque ultime reste la désintégration progressive de l’écosystème manufacturier canadien. « Le désir de M. Trump de rapatrier des emplois pourrait mettre fin à une aventure de plus de 100 ans au Canada », redoute M. Sam Yue Chi. Il dénonce une politique qui affaiblit les fabricants nord-américains, tout en donnant un avantage aux compétiteurs étrangers, notamment chinois. « À qui va profiter cette situation ? Ce n’est ni aux Québécois, ni aux Canadiens, ni aux Américains. »
Malgré la tempête, les intervenants prônent la résilience. Leur message est clair : informer, accompagner, représenter. Et surtout, rester solidaires. « Toute crise a un début, et une fin. Travaillons ensemble », conclut M. Sam Yue Chi.