Que se passe-t-il si une voiture est impliquée dans un accident grave et que l’on constate qu’un ou plusieurs systèmes d’aide à la conduite n’ont pas rempli leur fonction, car ils n’ont pas été remplacés ou calibrés correctement lors d’une réparation antérieure ?
Nous avons posé cette question à de nombreux acteurs de l’industrie, notamment des représentants d’associations, de réseaux de carrosserie et de compagnies d’assurance.
En abordant cette question, Autosphere a mis en lumière un aspect du secteur de la carrosserie qui demeure encore dans l’ombre. Cette zone d’ombre se résume ainsi : les calibrations des systèmes avancés d’aide à la conduite (ADAS) sont-elles systématiquement effectuées lors de la réparation des véhicules accidentés et sont-elles réalisées correctement ? Et sans vouloir tomber dans le mélodrame, qui est responsable si cette étape est négligée ou mal réalisée, alors qu’il est prouvé qu’un bon fonctionnement du système aurait pu éviter ou atténuer la gravité d’un accident ?
Le réparateur responsable
Difficile d’établir un pourcentage fiable des véhicules qui reprennent la route après une réparation sans que leurs systèmes avancés d’aide à la conduite n’aient été diagnostiqués et réparés. « Ce que l’on sait, c’est que bientôt, près de 80 % des véhicules que nous allons réparer auront des composantes de systèmes avancés d’aide à la conduite », souligne Sylvain Séguin, président du Réseau Fix au Canada. « Il est évident que nos ateliers doivent se former et s’équiper. Au bout du compte, celui qui répare est responsable. »
En tant que réseau, Fix Auto offre une garantie sur les travaux effectués. Il a ainsi tout intérêt à s’assurer des pratiques rigoureuses de ses franchisés.
Cependant, nous indique-t-on à la Corporation des carrossiers professionnels du Québec (CCPQ), un certain nombre de reprises de travaux liés aux systèmes ADAS se produisent régulièrement. En rencontre virtuelle avec Jonathan Pilon, président de la CCPQ, et Luc Fillion, conseiller stratégique pour la même association, soulignent le manque d’éducation d’un trop grand nombre de carrossiers face à cet enjeu. « Tout ce qui touche au diagnostic électronique et à la calibration relève de la formation et pour nous, la formation est au cœur de notre mission », stipule M. Pilon. « Nous savons qu’il y a une bonne volonté de la part de nos carrossiers, mais il y a un manque de constance. »
Luc Fillion réalise que des travaux sont parfois repris dans l’atelier après la plainte d’un consommateur. Autant le réseau que l’assureur ne veulent pas de clients insatisfaits, surtout à l’ère des médias sociaux, et beaucoup de dossiers se règlent au cas par cas.
Des causes difficiles à identifier
Un appel de Jean-François Champagne, président de l’Association des industries automobiles du Canada (AIA), met en lumière la situation. Il souligne qu’aucun cas de collision dû à un problème de calibration du système ADAS n’a été porté à son attention. « Cela ne semble pas être un facteur déterminant », souligne-t-il. « L’alcool au volant ou la distraction sont plus facilement identifiés comme des causes de collision. Dans le cas des systèmes ADAS mal réparés, cela nécessiterait toute une enquête pour déterminer s’ils sont liés à l’évitement ou à l’atténuation d’une collision après une seconde réparation. »
Cela dit, M. Champagne souligne l’importance d’effectuer les réparations conformément aux normes, quelle que soit leur nature, et insiste sur la nécessité pour les constructeurs de garantir aux ateliers du marché secondaire l’accès aux procédures nécessaires pour réaliser ces réparations. Y a-t-il une crainte chez les carrossiers de se faire poursuivre si un accident se produit ou s’avère plus grave à cause de leurs lacunes en diagnostic et en calibration des systèmes d’aide à la conduite ? Luc Fillion dit que oui, quelques carrossiers, parmi les meilleurs, se sont dotés d’une bonne couverture d’assurance pour se protéger face à cette éventualité.
Suivre les processus
À ce sujet, nous nous sommes adressés au Bureau de l’assurance du Canada pour clarifier sa position sur la responsabilité du carrossier concernant les systèmes ADAS. Voici ce qu’il nous répond, après avoir consulté les experts du Groupement des assureurs automobiles (GAA) : « Il incombe au réparateur de s’assurer que les réparations soient conformes aux recommandations du constructeur, et ce, particulièrement lorsque la recalibration des systèmes d’aide à la conduite s’avère nécessaire compte tenu de la nature des dommages subis. Si le véhicule a été mal réparé, il lui revient de refaire le travail ou de corriger les déficiences observées. »
La même source ajoute que le GAA établit des normes et des procédures qui dictent comment un véhicule accidenté doit être réparé. Ces normes suivent la technologie inhérente aux véhicules récents qui sont dotés notamment de modules d’aide à la conduite. Le GAA n’intervient toutefois pas auprès des réparateurs puisque, son mandat se rapporte à l’estimation des dommages seulement.
« Un assuré dont le véhicule aurait été mal réparé devrait communiquer avec l’expert en sinistre responsable de son dossier afin de voir comment il pourra l’aider et l’accompagner », explique le BAC. « Étant donné les différents choix offerts à un assuré au moment de la réparation de son véhicule – certains choisissent leur réparateur – et la diversité des pratiques et politiques dans l’industrie, nous ne pouvons commenter la nature de l’accompagnement qui pourrait être offert par un assureur. »
Les ententes conclues entre assureurs et réparateurs relèvent de chaque compagnie, souligne-t-on au BAC. Ce qui explique que plusieurs plaintes de consommateurs se règlent entre l’assureur et le carrossier ou son réseau sans intervention du consommateur. Il arrive que la pomme soit coupée en deux, que l’assureur assume une part de la facture des travaux repris et laisse l’autre au réseau de carrosserie. Bref, c’est jugé à la pièce.

Un message positif
Rassurons-nous, tout indique que les ateliers de carrosserie au Québec sont de plus en plus à la hauteur du défi que représentent le diagnostic et la réparation de ces équipements de sécurité. C’est du moins ce que perçoit Sylvain Guillemette, directeur adjoint à l’estimation automobile chez Beneva.
« Tout comme les carrossiers, nous devons constamment nous mettre à jour », souligne l’expert. « Ce que nous disons, c’est que si des calibrations ou un remplacement de capteurs est demandé dans le processus de réparation du constructeur, le carrossier doit le faire. Ce dernier est maintenant plus habile à nous fournir les rapports pour justifier l’ensemble des réparations, incluant ces calibrations. Et parfois, on parle de deux ou trois systèmes à calibrer sur le même véhicule. Nous voulons savoir ce que nous allons payer, évidemment. Une chose est certaine, si c’est demandé dans le processus de réparation et que le travail est documenté, nous payons le carrossier pour cette opération. Avec le temps, le partenariat développé avec les carrossiers a rendu ce travail beaucoup plus routinier. »
Là où des zones d’ombre subsistent, selon M. Guillemette, c’est lorsque les travaux de calibration sont sous-traités à un tiers, une pratique qui tend à hausser sensiblement les coûts. « Idéalement, s’il leur est possible de le faire, les carrossiers devraient s’en charger », recommande-t-il. « Pour eux, c’est une façon aussi de gérer leur cycle de production et de contrôler la qualité des travaux. »
Certes, mais il n’est pas donné à tous les carrossiers de consacrer une baie de service aux calibrations, alors qu’elle serait plus rentable pour les travaux de carrosserie. De plus, la qualité et la dimension du local s’y prêtent rarement sans considérer d’importants travaux d’aménagement.
Un potentiel de danger
D’où l’apparition de centres spécialisés qui offrent ce service aux carrossiers, comme le Centre de calibration des Laurentides, dont nous avons récemment visité l’installation jumelle à Lévis. « Il y a un potentiel de danger avec des systèmes mal calibrés », mentionne Amir Farrokh, copropriétaire de ce centre et ancien professeur. « Mais attention, les ADAS ne sont pas des pilotes automatiques et ils n’empêcheront pas un accident de se produire. L’enjeu, présentement, dans toutes les sphères de la réparation, c’est le diagnostic et le manque de techniciens qualifiés. Dans nos centres, nous sommes en mesure de constater que le diagnostic et les calibrations des composantes des systèmes d’aide à la conduite n’ont trop souvent pas été effectués lors des collisions antérieures. »
Pour M. Farrokh, que les interventions soient réalisées en carrosserie ou dans son centre, le diagnostic et la réparation de ces composantes (caméras, radars ou lidars) et leur calibration doivent être rigoureusement documentés. Pour lui, c’est important pour appuyer la demande auprès de l’assureur, mais aussi pour se protéger en démontrant, noir sur blanc, que le travail a bien été fait.
Une solution globale
Jacques Maheux, directeur du réseau des garages recommandés de la CAA-Québec, ne prend pas à la légère les conséquences d’un accident où le travail du carrossier serait mis en cause. « Nos ateliers pourraient être poursuivis », tranche-t-il. « Un capteur mal ajusté peut ajouter des mètres à la distance de freinage et entraîner de graves conséquences. De plus, comme réparateurs, nous avons une responsabilité morale de ne pas mettre nos clients en danger. »
Le représentant de la CAA-Québec nous apprend qu’il travaille justement avec son équipe sur la mise en place d’un programme de formation sur la compréhension, le diagnostic, la réparation et la calibration des systèmes ADAS. « Nous avons été en premières lignes en ce qui concerne l’entretien des véhicules électriques. Nous voulons aussi être des précurseurs en matière d’ADAS, d’autant plus que nous commençons à recevoir des retours de nos clients sur des travaux de calibration mal faits. »
Ce que souhaite M. Maheux, c’est de mettre en place un programme national, à l’instar de Compétence VÉ, qui établirait des normes et des processus reconnus. Il veut y travailler en collaboration avec le Conseil provincial des comités paritaires de l’industrie des services automobiles (CPCPA), la CCPQ et même les centres de calibration privés. Et le directeur insiste sur le fait que cette formation devrait être accessible non seulement à ses garages recommandés, mais à tous les ateliers du marché secondaire.
« Nous sommes les spécialistes, nous devons assumer nos responsabilités », conclut M. Maheux.
Les assureurs trop dominants
C’est aussi la conclusion de George Iny, président de l’Association pour la protection des automobilistes. « L’engagement de l’assureur est de vérifier que le véhicule de son client soit remis dans la même condition qu’avant la collision. Je trouve que présentement, le secteur de la carrosserie est dans une position déplorable et que les assureurs sont trop dominants dans l’équation. »
M. Iny a effectué des recherches dans son réseau de contacts à notre demande et conclut qu’aucun cas flagrant de dommages causés par des lacunes sur la réparation de composantes de systèmes d’aide à la conduite n’a été répertorié, « à date ».
L’expert mentionne qu’il sera d’ailleurs très difficile d’établir qu’une mauvaise calibration est liée à une collision plus sévère, comme le mentionnait d’entrée de jeu Jean-François Champagne. « Ce dont nous entendons beaucoup parler en ce moment, ce sont les évènements fantômes qui se traduisent par d’étranges comportements du véhicule. Le problème, souligne M. Iny, c’est que ces anomalies n’apparaissent pas dans les codes d’erreur du véhicule et qu’il est très difficile d’en identifier la source. »
Est-ce qu’un carrossier québécois sera bientôt poursuivi pour avoir omis une calibration lors d’une réparation ? Tout indique que non. Au Québec, le gouvernement prend le relais pour les blessures corporelles et la compagnie d’assurance s’occupe de régler tout conflit lié à un travail mal fait sur le véhicule.
Peu importe dans quelle sphère de l’industrie naviguent nos intervenants, tous soulignent la responsabilité du carrossier à suivre les processus du constructeur lors d’une réparation, y compris les calibrations ADAS. Il y a consensus aussi sur sa responsabilité de reprendre les travaux, souvent à ses frais, s’ils ont été mal effectués.
Évidemment, tous s’entendent pour dire que le travail devrait être bien fait à l’origine, et que le carrossier devrait avoir les accès et ainsi recevoir la rémunération adéquate pour le faire.