Chez CarrXpert Beloeil, le quotidien est pimenté de l’esprit et du savoir d’un carrossier des années 60.

Alors que Réginald Gagné était dans le métier depuis une quinzaine d’années, chaque Noël livrait à André Pelletier un nouveau véhicule téléguidé qu’il réussissait à démonter avant le Jour de l’An.

Bien que l’un soit né derrière la cathédrale de Chicoutimi au début des années 40, et que l’autre ait vu le jour à Murdochville quelque 30 ans plus tard, ils ont intrinsèquement la même passion.

Pendant que celui-ci peinturait ses petites voitures avec le vernis à ongles de sa mère, ou mettait plus tard en pièces les tondeuses et les souffleuses, Réginald redressait et restaurait n’importe quel véhicule.

Artisan des premières décennies de l’automobile, Réginald aurait pu être un maître pour André, qui a décroché son DEP en 1988 à Rimouski après s’être initié au métier au cours du Secondaire.

Il aurait d’ailleurs été normal qu’il en soit ainsi, puisque les premiers enseignants du programme de carrosserie étaient précisément des pros de la génération de Réginald.

Comme ses semblables, dont il est difficile d’imaginer à quel point les conditions de travail étaient infernales en leur ère quasi préhistorique, il a beaucoup à raconter.

L’époque de la débrouillardise

Fier d’avoir fait de la magie « avec rien » en des environnements aussi malsains que toxiques, Réginald parle amplement de cette époque où excellence et débrouillardise étaient synonymes.

C’était un temps de totale liberté où la norme absolue était de satisfaire les clients en leur remettant un véhicule au fini éclatant propre aux généreuses couches de peinture acrylique.

Et il ne manque pas de dire qu’en comparaison des produits hydrofuges d’aujourd’hui, ce type de revêtement résistant permettait de repeindre une auto en entier en 60 minutes !

Il ajoute que rares étaient les véhicules envoyés au « cimetière » contrairement au nombre croissant de pertes totales qui, depuis 2000, font la file sur le chemin du recyclage.

Jadis, il était fascinant de voir avec quelle précision Réginald arrivait à identifier les points d’impact et à redresser les véhicules comme par magie. Plus ils étaient abîmés, plus il avait de plaisir ! » — André Pelletier

« Sa » réalité augmentée

Devant un véhicule gravement accidenté, les bras ne lui tombaient pas, il se sentait plutôt fouetté par le pari de lui donner une nouvelle vie en le redressant à la perfection.

Son secret : faire d’abord une pause pour détecter à l’œil le point d’impact, et voir en pensée le châssis se déplier exactement comme il s’y attendait. Autrement dit, il pratiquait déjà la réalité augmentée !

Les heures ne comptaient pas, et les pauses n’existaient que pour mieux s’arrêter à la prochaine étape, souligne-t-il, sinon pour changer ses plans en raison de pièces qu’on attendait.

À son époque, on pouvait toujours redresser un véhicule en accrochant des chaînes à des points d’ancrage, et utiliser « un galon » pour mesurer le trait carré et la distance d’un « ball joint » à l’autre.

Autant l’arrivée du légendaire système « Wedge Clamp » a ensuite été marquante, autant l’apparition des systèmes de mesure 3D, des soudeuses programmables et des riveteuses a été un bond considérable.

S’il est impressionné par l’évolution, Réginald Gagné est convaincu que les aspects fondamentaux du métier, d’abord exclusivement manuel, demeurent les mêmes qu’à ses débuts.

Du Saguenay à la Rive-Sud

C’est à La Huche Sans Pareille de Rivière-du-Moulin, près de Chicoutimi,

que, Réginald Gagné avait eu à 14 ans sa première paie, soit au temps où les boulangers livraient encore en voitures à cheval.

Après une décennie passée en partie à la scierie du village et chez le fabricant de meubles Saguenay Furniture, il plongeait tête première avec bonheur dans cet univers de la carrosserie qui le fascinait tant.

C’est en suivant son ami Serge Simard, commerçant d’autos, qu’il s’est retrouvé dans les années 60 et 70 en une dizaine d’ateliers situés sur la Rive-Sud de Montréal, dont celui d’une entreprise de transport.

Bref, lorsque son parcours l’a conduit en 79 chez Claude Camiré et Réal Jauvin, il était déjà réputé pour son expertise en redressement de structures, réparation proprement dite et mécanique.

​​De la rôtissoire à la Spider

Depuis la première auto qu’on lui avait confiée — une Ford 1948 — les défis qui l’ont le plus comblé sont d’avoir restauré 3 Chevelle ainsi qu’une Star 1927, aussi bien que « miraculé » d’innombrables voitures.

Pur artisan du siècle dernier, Réginald Gagné estime que les plus belles années de sa carrière, où on coupait les véhicules en deux, les « rôtissait » ou en faisait des décapotables, auront été les décennies 70 et 80.

S’il raffole aujourd’hui de ses randonnées estivales en Spider, il ne saurait chaque automne se passer du plaisir de continuer à pratiquer le métier avec un enthousiasme toujours aussi communicatif.

​​Toujours aussi attendu

André Pelletier est fier de dire qu’à la fin de chaque été son équipe et lui se réjouissent de le voir revenir et de retrouver son humour et son esprit si intemporels, qui dérident à souhait et effacent le temps.

Et d’ajouter que Papi, comme on l’appelle affectueusement, se plaît à dire qu’il est choyé de se garder jeune de pareille façon, plutôt que d’être exposé à n’entendre parler que de bobos.