Entre la nouvelle couleur de carrosserie introduite par le constructeur automobile et le travail en atelier il y a tout un cheminement que nous allons suivre.
La boutade de Henry Ford qui disait, à propos de son modèle T, que n’importe quelle couleur était disponible pourvu que ce soit noir peut nous faire sourire aujourd’hui. Cette anecdote, dont l’attribution reste contestée à ce jour d’ailleurs, illustre bien le point de départ de l’explosion chromatique qui donne aujourd’hui au consommateur le choix entre des milliers de couleurs et finis pour sa nouvelle acquisition.
Outils de vente
« Les couleurs sont un outil de vente, résume Normand Cormier, directeur de la formation en classe pour l’Amérique du nord chez Systèmes de revêtement Axalta. Avec le lancement constant de nouveaux modèles, les constructeurs automobiles, en association avec leurs fournisseurs de peinture, rivalisent pour se démarquer. On peut parler du fini mat, réservé à l’origine à une poignée de voitures haut de gamme, qui s’est maintenant démocratisé, ou encore des couleurs extrêmement brillantes comportant de la poussière de verre en couche intermédiaire ou encore des couleurs bonbons intenses obtenues par l’application d’un vernis intermédiaire coloré. Et c’est sans parler de certains pigments rares ou exclusifs. Pour le fabricant de peinture qui n’est pas le fournisseur d’origine, trouver la bonne combinaison de couleur et de processus de finition est un grand exercice d’ingénierie inversée. »
Ingénierie inversée
Les fabricants de peinture qui ne sont pas fournisseurs d’origine reçoivent habituellement des panneaux aux couleurs à venir plus d’un an avant le lancement des nouveaux modèles par les constructeurs. Les laboratoires des fabricants vont alors analyser les pigments, leur concentration ou encore la présence de paillettes métalliques pour trouver la formule exacte qui correspond à la couleur d’origine. C’est d’ailleurs ce que signale Brad Kruhlak, directeur technique pour le fabricant de peinture AkzoNobel qui, en réponse aux questions d’autosphere, explique que son entreprise a une équipe dédiée à la collecte et à l’analyse des couleurs à venir. Une fois la formule établie, elle sera intégrée dans la base de données accessible aux clients par le système MIXIT Cloud.
« Il serait trop tard d’attendre qu’une couleur soit sur le marché avant de la reproduire, indique pour sa part Frank Femiola, gestionnaire technique du laboratoire du centre d’excellence de PPG Refinition automobile à Cleveland dans une réponse écrite à autosphere. Pour être à niveau, nous devons commencer le travail deux ou trois ans avant l’introduction de la nouvelle couleur. Notre collaboration avec des constructeurs à l’échelle mondiale nous aide dans ce travail. De plus, nous sommes en contact rapproché avec les fournisseurs de pigments à travers le monde pour être à l’affût de ce qui pourrait apparaître dans le secteur automobile un jour. »
Le double défi qui se présente ensuite aux fabricants est de limiter le nombre de toners nécessaires à l’atelier pour reproduire quelques millions de combinaisons possibles tout en maintenant son prix dans la limite de l’acceptable. Chez PPG, on parle de 3.5 millions de formules qu’on arrive à reproduire avec une centaine de toners.
Banque de couleurs
« Les designers de finis chez les constructeurs n’ont aucune idée du travail effectué en atelier, reprend Normand Cormier d’Axalta. Car en plus de verser la nouvelle couleur dans notre banque accessible aux carrossiers, il faut aussi comprendre le processus d’application. Là aussi, nous effectuons des tests en laboratoire pour identifier la meilleure méthode. Dans des cas particuliers de nouveaux finis, nous allons émettre aussi des fiches techniques indiquant le processus à suivre par le peintre. La finition dans le processus de réparation est d’une grande complexité aujourd’hui. Évidemment, les techniciens peuvent accéder à plusieurs formations de la part de leur fournisseur de peinture et je les encourage grandement à le faire. Il n’en demeure pas moins que nous maintenons une équipe en place pour répondre aux questions des ateliers, car 70 % de leurs appels concernent des cas particuliers. »
Formation en peinture
John Beauregard est aussi, à l’instar de M. Cormier, très axé sur la formation étant spécialiste de la finition au centre de formation de PPG à Mississauga. « À la fin, tout repose sur l’expertise du technicien à établir les bonnes étapes pour obtenir le fini souhaité. Nos équipes en laboratoire consacrent leur temps à contretyper le processus d’origine pour offrir des solutions au marché secondaire. Nous allons aussi émettre des bulletins techniques pour les cas plus problématiques. À ce chapitre, les constructeurs vont souvent offrir une bonne collaboration. J’ai en tête, par exemple, Mazda et sa couleur gris machine 46G dont nous avons pu avoir les détails et les communiquer à nos clients. »
Pour ces deux experts, le peintre qui a accès à la bonne peinture et au bon processus devrait toujours valider le résultat sur un panneau d’essai avant de procéder à la peinture sur le véhicule du client. La couleur de véhicules qui sortent de la même usine peut varier même avec le même code du constructeur, mentionnent-ils. D’où l’importance de valider le résultat avant d’entreprendre le travail, risquant autrement de décevoir le client, de devoir reprendre le travail et d’annihiler ainsi la profitabilité de toute l’opération.
Même constat chez AkzoNobel dont le centre de recherche pour la finition automobile établit les meilleurs processus, mais s’assure aussi de les traduire en méthodes de formation. Le directeur technique Brad Kruhlak explique dans sa réponse écrite que plusieurs canaux sont mis place pour s’assurer que les connaissances du centre de recherche atteignent le peintre en atelier. « Les processus, étape par étape, sont détaillés sur les fiches techniques de tous nos produits et ils peuvent aussi développer leur savoir-faire dans nos centres de formation. La visite d’un représentant technique peut aussi être organisée. Le peintre qui a des questions face à un nouveau fini peut trouver une masse d’information sur les couleurs et les applications grâce à l’infolettre que nous pouvons adresser à nos clients, sur notre chaîne YouTube ou encore sur nos médias sociaux. L’important est qu’il sache qu’il y a des ressources s’il a besoin d’aide. »