Devant les demandes des assureurs ou des clients, certains carrossiers commencent à refuser du travail ou à négocier de meilleures conditions.
Il n’y a pas de mouvement coordonné, et les gestionnaires avec lesquels Le Carrossier a parlé dans le cadre de cet article ont préféré le faire sous le couvert de l’anonymat. Les carrossiers qui travaillent étroitement avec ces donneurs d’ouvrage refusent de se mettre dans une position qui pourrait nuire à leurs relations. C’est tout à fait légitime.
Il n’en demeure pas moins que depuis au moins deux ans, le fort achalandage dans les ateliers favorise une remise en question des conditions de ce « partenariat » entre les ateliers et les assureurs. Dans un contexte où il pourrait y avoir une pénurie de travail, le carrossier doit se montrer plus accommodant. Même si ce constat varie selon les régions, il semble que présentement au Québec, le travail ne manque pas et que les cours sont pleines. « Il y a un bouchon dans nos ateliers à cause du fort volume, constate un carrossier. Ça nous permet d’être plus sélectifs et de refuser les travaux qui ne sont pas rentables. »
Dire non
Ce que l’on apprend, c’est qu’un nombre grandissant d’ateliers refusent ou contestent certains travaux qui leur sont soumis. Une situation souvent citée est le cas des voitures non carrossables livrées chez les ateliers débordés de travail et qui doivent assumer le prêt d’une voiture de remplacement pendant des périodes qui peuvent se prolonger sur plusieurs semaines. Quand le carrossier doit louer une voiture pour accommoder un client lorsque son propre parc est vide, les coûts rendent le travail proposé déficitaire avant même que la voiture n’entre dans l’atelier.
La question des voitures de remplacement revient souvent dans les discussions avec les carrossiers. Les temps d’attente entre la réception du véhicule et la livraison au client après sa réparation peuvent s’allonger de plusieurs semaines.
« Il y a un écart grandissant entre le taux horaire offert par les assureurs et l’augmentation de nos investissements en équipements et main-d’oeuvre. Dans un contexte de rareté de techniciens, nous avons dû améliorer nos conditions. Il faut que les assureurs nous appuient s’ils veulent compter sur des ateliers de qualité pour servir leurs clients. Je pense que les assureurs doivent trouver de nouvelles solutions, notamment en augmentant les primes facturées à leurs clients. »
Les discussions autour des estimations de travaux semblent être une situation de plus en plus courante. Le temps de réparation, le processus ou le choix de réparer au lieu de remplacer une pièce font partie des échanges. Plusieurs assureurs semblent démontrer plus d’écoute à ce sujet, surtout quand la discussion se déroule avec un partenaire carrossier régulier jouissant d’une bonne réputation.
L’approche des carrossiers en cas de travaux non rentables va d’un extrême à l’autre. Certains acceptent les travaux sans broncher, de peur d’irriter un assureur à gros volume ; d’autres mettent carrément ces mauvais partenaires sur une liste noire et refusent de transiger avec eux.
Des gains et des murs
Les cas où un carrossier ira en chercher un peu plus auprès de l’assureur en négociant sa cause commencent à être plus nombreux, selon les carrossiers consultés. De petits gains ponctuels sur le paiement de voitures de remplacement, par exemple, se produisent. Il semble que, malgré la solution facile d’envoyer la voiture se faire réparer ailleurs s’ils n’obtiennent pas ce qu’ils veulent, les assureurs réalisent que l’engorgement est généralisé dans certaines régions et qu’ils doivent revenir avec un compromis. Mais selon nos carrossiers, certains sont inébranlables et ne bougeront pas d’un pouce, de peur de créer un précédent.
Le prix de l’investissement
Selon nos répondants, l’augmentation des coûts de réparation, incluant la formation et les équipements nécessaires pour réaliser correctement les travaux, ne trouve pas encore écho dans les taux horaires versés aux carrossiers. Cependant, constatant que les assureurs n’ont pas les ressources nécessaires pour réaliser eux-mêmes les travaux sur les voitures de leurs clients et qu’ils doivent faire affaire avec un nombre toujours décroissant d’ateliers qualifiés, les carrossiers souhaitent de concert que la situation se rétablisse.
« On ne peut pas travailler en perdant de l’argent, affirme l’un d’entre eux. Chaque année, mon efficacité augmente et les volumes traités sont de plus en plus importants. Par contre, ma marge bénéficiaire fond un peu plus chaque année. Cette situation ne peut pas durer. »
Tout ça dans un contexte où les voitures sont de plus en plus complexes à réparer, et les clients, plus exigeants.